Les environs de Meknès 2

Panorama de Moulay Idriss en 1917

Volubilis fut-elle détruite et par qui?

Moulay Ydriss (F.MANI)

En 1917

Le général GOURAUD entre à Moulay Idriss (29 avril 1917)

Fantasia en l'honneur du général GOURAUD

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    J’assurais la direction du « bureau des marchandises »  comme il était de coutume de dire parlant du service des expéditions et des arrivages de toutes natures, lorsqu’on m’invita à procéder à la rectification du chargement d’un tracteur de marque Caterpillar. L’un des engins équipés de chenilles les plus puissants de ces années.

J’avais bien conduit toutes sortes de tracteurs, piloté aussi des chars de combat, je  me voyais cependant mal manœuvrant un tel imposant monstre sur le simple espace d’un plateau de wagon.

La providence me souriant, ce même jour un client  remis  à l’expédition un Caterpillar d’un modèle absolument identique à celui qu’il convenait de manœuvrer. Eh bien oui, une fois encore, il se confirmait que le hasard s’applique parfois à bien faire les choses. Ainsi, l’espace d’un clin d’œil, le tracteur remis au transport était chargé et l’autre très aimablement recentré.

L’heure venue de  la fermeture des bureaux, je pouvais donc m’en retourner chez moi l’esprit tranquille.

Le lendemain matin alors que, cheminant aux abords des voies je rejoignais tranquillement mon poste, intrigué par un attroupement qui paraissait débattre au  milieu des voies du triage, j’avais pressé le pas et, arrivé sur place …stupéfaction. Rien moins que: deux wagons plats renversés, un pylône de lampadaire descellé et effroyablement torturés, des rails soulevés, tordus, rompus par endroits et, couché sur le flanc, le  tracteur, celui-là même dont le chargement avait été rectifié.

Alertés en pleine nuit par un bruit infernal, les agents de service étaient accourus lampe en main dans la direction. Mais, impuissants à maîtriser l’engin qui pivotait, ils l’avaient laissé effectuer librement ses rotations, tordant et brisant tout ce que les chenilles agrippaient et ce, jusqu’à l’épuisement complet du carburant. 

Qui, par malveillance, avait bien pu mettre le moteur principal de l’engin en marche, alors qu’il ne pouvait être lancé  qu’à l’aide de son moteur auxiliaire ?

Là réside et résidera indéfiniment l’énigme.

Histoire de meubler le silence, ce court extrait de mon dernier bouquin.

Je tournais définitivement le dos à l’agriculture et j’allais à Petitjean la résidence où la direction du TF m’avait affecté.

       Je l’avais pourtant fièrement brandi, de même que je comptais bien l’utiliser le fameux titre de transport que la compagnie des chemins de fer m’avait fait parvenir par voie postale.  Il ne me fut pourtant d’aucune utilité.

        Tout aussi curieuse que moi de découvrir ma gare d’affectation et mon lieu d’hébergement, toute la famille s’était entassée dans la berline. Le  trajet ne s’annonçait pourtant ni plaisant ni de tout repos ce dimanche après-midi de pleine canicule. Mais comme m’avait cent fois  répété maman: « On te situera mieux et on pourra aussi t’imaginer évoluant ici ou là dans ton travail et dans ta nouvelle résidence»                                                                                                                     Les vertes étendues de vignes, de notre région très vite franchies nous avions tout aussi rapidement traversé une contrée toute aussi verdoyante  mais de prime abord bien moins peuplée. Les fermes apparaissaient ici ou là plus éloignées les unes des autres. Nous avions ensuite entamé la traversée  d’un paysage d’une étrange aridité. Ce n’était que plaines encaissées parsemées de pierres blanches, entièrement parcourues d’ondes de chaleur. Une sorte d’univers planétaire éteint depuis des millénaires.

La route qui serpentait par endroits à flancs de collines, longeait parfois un tronçon de voie de chemin de fer. Parfois aussi elle s’en écartait. Sous le capot, les ronflements sourds du moteur faisaient craindre une surchauffe du liquide de refroidissement. En partie dissimulée derrière un écran d’arbustes, une gare ferroviaire était soudainement apparue. Littéralement écrasée par la chaleur, elle semblait assoupie. Rien ne bougeait non plus dans ses proches alentours. A peine plus loin, une tente berbère dressait son toit de crins. Hormis la présence d’un bourricot dont les arêtes saillantes auguraient un triste sort, aucun autre signe de vie ne se signalait à cent lieues à la ronde. Harcelée par la même nuée de mouches, la pauvre bête  trépignait et frappait nerveusement ses flancs de sa queue. Quelques verdoyants roseaux signalaient ici ou là  la présence d’un point d’eau. Une eau dormante sans doute, réduite en ces temps de chaleur à l’état de mare parasitée, grouillante de larves et de sangsues ; une eau juste bonne à abreuver  les quelques maigres élevages. Il est cependant probable qu’à défaut de mieux, le voisinage devait s’en satisfaire.

 Nous roulions vitres baissées et les fortes bouffées d’air brûlant qui s’engouffraient par moments dans l’habitacle rafraîchissaient agréablement nos peaux dégoulinantes de transpiration. Et soudainement de nous écrier d’une même voix : « Nous y sommes ! Nous y sommes ! »                                                                                                                    Nous abordions alors les vagues contours  d’une agglomération qui surplombait tout un large environnement. 

A l’intérieur de la cité, rien ne bougeait. De part et d’autre de la rue principale que nous parcourions, ce n’était qu’un même alignement de rideaux baissés. A un croisé de routes, un fléchage indiquait la direction de la gare ferroviaire. Nous nous y engageâmes. Nous n’avions alors guère tardé  à nous trouver devant l’accès principal de la fameuse gare. A cette heure de plein ensoleillement, la façade chaulée  jetait d’insoutenables réverbérations  et le revêtement bitumeux surchauffé et tout amolli de la vaste place exhalait de fortes odeurs. Tout à proximité, clôturée en partie par un haut mur,  une raffinerie pétrolière dressait un bien étrange enchevêtrement de tuyauteries. De puissants jets de vapeurs jaillissaient par endroits et un gigantesque brûleur lançait des flammes d’enfer dans le ciel. De même, de brusques et bruyants avertisseurs sonores  secouaient par instant l’univers endormi. Il y avait là toute une bouillonnante  effervescence qui se dérobait aux regards du monde extérieur. Fascinés, nous étions là muets de saisissement. Au bord des larmes, maman avait préféré regagner son siège, alors que, s’efforçant de garder une contenance détachée, d’un air désabusé papa nous dit: « Bah ! Rien ne semble changé depuis son inauguration. »  Nous savions pourtant qu’il n’avait jamais mis les pieds dans cette cité, moins encore dans les parages de cette raffinerie. Mais il n’avait trouvé que ce moyen de dissimuler sa contrariété.

De sorte d’écourter ce lourd climat, je m’étais très nonchalamment porté à l’arrière de la voiture. Le coffre grand ouvert, j’en avais retiré mes deux valises. Puis, sur un ton qui se voulait moqueur : « C’est tout de même curieux ! Je m’attendais à être reçu par un comité d’accueil ! A priori il n’en n’est rien.» Une plaisanterie qui  si elle ne détendit pas l’atmosphère, eut néanmoins pour mérite de tirer quelques légers sourires.   

 Le moment des embrassades marqua ma rupture définitive avec le foyer familial.  C’est plus qu’il n’en fallut pour voir les yeux de maman se noyer, ma belle sœur sortir discrètement un mouchoir de son sac à main et papa s’empresser de regagner le siège avant du passager. Se gardant d’attarder son regard dans le mien, mon frère m’avait flanqué une grande tape dans le dos en disant : « Veinard ! Tu vas pouvoir jouer les bourreaux des cœurs dans un endroit aussi reculé. » S’étant aussitôt installé au volant, il avait lentement démarré, mettant  ainsi un terme à ces pathétiques instants. Quelques mains avaient continué de s’agiter à travers les fenêtres de la voiture et plus rien, qu’un  grand vide et la pleine solitude d’un jeune garçon totalement désemparé, resté un  moment immobile entre ses deux valises.

Chantal, employée de la SCP (Société Chérifienne des Pétroles) était une jeune fille timide, renfermée et solitaire. Nous osions à peine lui adresser un bonjour amical tant nous la sentions retranchée dans sa pudeur et sa réserve.  Elle avait tout de même fini par se lier d’amitié, d’affection sans doute même, avec un jeune collègue de son âge. Depuis, tous deux venaient  fidèlement  prendre leurs repas à la brasserie hôtel ou la plupart des cheminots célibataires prenaient pension. D’une timidité maladive, ils s’installaient le plus en retrait possible de  notre longue  et remuante tablée. La dernière bouchée à peine  déglutie, ils se retiraient discrètement et sans même nous adresser un regard,  s’éloignaient d’un même pas allègre.

Un samedi soir pourtant, chose pour le moins surprenante, toute souriante, Chantal nous fit part de leur intention de se rendre à Meknes pour, nous dit-elle, « Voir enfin le film qu’on lui avait si fortement recommandé ». D’une seule et même voix, nous leur avions alors souhaité « Bonne route et excellente soirée ».

Le lendemain, chose étonnante, nos deux tourtereaux n’étant réapparus ni à midi ni le soir, nous pensions qu’ils avaient soit pris leurs repas ailleurs, soit décidé de passer le dimanche sur place.

D’une ponctualité exemplaire au travail, leur absence le lundi matin avait bien entendu soulevé bien des interrogations. Les inquiétudes allant même d’instant en instant grandissantes, après bien des hésitations on décida tout de même d’informer à la fois la police et la gendarmerie, lesquelles sans tergiversation entreprirent aussitôt des recherches. Ce n’est qu’en fin de matinée qu’à la faveur d’une  probable dénonciation, on put enfin découvrir les deux corps. Roués de coups, violés, égorgés et éventrés, le jeune couple avait été traîné et dissimulé dans un endroit tout proche de la route qui menait à Meknes.

     Les soupçons se portèrent aussitôt et tout naturellement sur un groupe d’indépendantistes haineux et redoutés, capables des pires exactions. Mais, à défaut de preuves ou plus vraisemblablement sur instructions confidentielles, on suspendit brusquement l’enquête,  abandonnant du même coup toute action judiciaire.                   

L’affaire en resta donc là.

Comme tu vois ma chère Ghislaine, tout n'était pas rose.

La Casbah de Moulay Idriss
Très vieille photo
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