Divertissements, Humour 4

Lucien Calatayud a écrit:Salut tout le monde

Pour celles et ceux qui ont un peu d'humour, ce sketch de mon cru:

 
 

Le bouc

 
Ouverture des rideaux:
 Une femme vêtue en paysanne communique très bruyamment au téléphone :
 « Allo ! Monsieur le vétérinaire ? C’est Gertrude ! Gertrude la paysanne !  Celle qui élève des chèvres et qui  fabrique des fromages. Quel genre de fromage ? Mais du chèvre bien sûr. Où c’est qu’on est? Mais vous pouvez pas vous tromper. C’est  tout en haut d’la butte et en bordure d’la forêt, là où qu’on voit toujours un peu d’fumée qui monte. Qu’est-ce qui fume?  Mais c’est l’fumier pardi ; c’est comme ça qui s’fait… Où il est  le  fumier ? Mais comme un peu partout où on élève de bêtes ; jus’t’à côté de l’entrée d’la maison. C’est bien ça, j’vous attends. Prenez tout de même la précaution de chausser des bottes  parce qu’en ces temps de pluies y’a  d’la boue  partout chez nous. Mais v’nez sans tarder ! Pourquoi ? Mais c’est pour  mon bouc. Y m’cause un gros souci. Oui c’est ça! A tout d’suite »
Elle raccroche et, tournée vers le public,  elle se lamente:
« On n’en finira  jamais de sortir des sous. Encore et encore et toujours  des frais qu’on n’a pas prévus… Quand c’est pas une chose, c’en est une autre. Il en rentre pourtant  peu avec notre petit élevage de chèvres et la vente de nos fromages sur le marché du samedi. Et c’bouc qui  s’en mêle, s’mettant à respirer aussi fort qu’un bœuf poussif.  Et en plus, v’là qu’depuis quelques temps y  r’garde même plus les biques. Alors qu’on voit bien qu’elles n’attendent qu’ça, les pauv’es bêtes, d’être satisfaites. Y’a pas si longtemps encore, dès qu’il en lorgnait une, fallait voir comment y s’y prenait pour la séduire et quelle ardeur  y mettait sitôt qu’il la choppait entre ses pattes avant.  Et quoi qu’elle  fasse pour s’en libérer… parce qu’y’en a des comme ça, qui n’apprécient  guère qu’on les dérange quand elles broutent, même quand il s’agit de la bagatelle. J’suis ben pareille moi.  Pas deux choses à la fois : c’est l’un ou c’est l’autre mais pas les deux ensemble. Surtout qu’on risque d’avaler de travers. Y parait pourtant  qu’y’en a qui continuent de mâcher leur swing gum pendant qu’y font la chose dans une voiture. Y’en a j’vous jure qu’ont peur de rien. Pas même du mal de mer. Parce que ça doit tout de même tanguer une voiture si on y met trop d’ardeur.
Mais pour en revenir à mon bouc, eh ben, quoi qu’elle fasse, fallait quand même qu’elle y passe la biquette récalcitrante. Parce qu’il était tenace mon bouc. C’était pas un timide.
 Et d’un air d’extase : C’était vraiment plaisir à voir…enfin c’est simplement pour dire qu’il jouait  parfaitement son rôle de bouc. Oh ! r’marquez qu’y’a pas qu’lui qui r’garde plus les f’melles. Mon mari l’est ben pareil. J’pourrais ben m’m’ettre en jupe courte juste au ras des fesses qu’il n’sen apercevrait même point. C’est pourtant pas courant dans nos campagnes reculées d’en voir une en jupette. Sauf peut être au temps des foins. Là j’dis pas. Y’en a  qu’ça inspire l’odeur du foin. 
La preuve qu’à lui, mon Gontran ça lui ferait rien c’est qu’ y’ a peu de temps, j’ai consulté mon généraliste à son sujet. Eh ben, qu’est-ce qu’il m’a conseillé… j’parirais que vous vous en doutez point ; rien d’autre que de l’obliger à faire une cure de gelée royale. Soit disant que ça allait lui donner un sacré coup fouet et qu’y allait se comporter comme un jeune homme de vingt ans sevré  depuis des lustres. Entre vous et moi ; ce n’est pas une simple cure que j’lui ai fait faire,   j’l’ai  carrément bourré  de  gelée royale. Et puis quoi ? Le troisième jour il s’est à peine mis à bourdonner comme  une abeille, mais pour autant, il n’a guère  plus piqué.  Et même qu’une fois, alors que j’étais tout à fait disposée, il m’a dit comme ça  qu’ces choses là ça fatiguait pour rien puisque ça n’rapportait pas un sou. Vous avouerez qu’c’est à vous éteindre pour un bon bout de temps un vrai volcan du bas ventre.
Entre nous, y’a tout de même des choses tout à fait surprenantes. Figurez-vous qu’il n’y a pas longtemps, la petite Marie  amenait une biquette au bouc comme elle le fait parfois. Elle passe devant l’église et Monsieur le curé qui n’avait rien d’autre à faire que de prendre le frais lui dit comme ça :
«  Tu en as bien du mal mon p’tit à la faire avancer ta biquette ! Et tu vas loin ?
Elle lui répond tout bonnement :
      –   Non M’sieur le curé, c’est pas très loin puisque  j’lamène  au bouc chez les Gontran.
Monsieur le curé a  alors failli s’étrangler :
     –   Comment ça ? qu’il colère ; ton père ne peut pas  faire la chose  lui-même ?
      –  Mais non M’sieur le curé que  lui répond la  p’tiote  un peu étonnée; faut qu’ce soit le bouc !
C’est-y idiot comme question d’la part d’un curé! Vous trouvez pas ?
Quoi qu’il en soit de tout ça, vu que mon vieux Gontran n’y connait pas plus dans la maladie des chèvres que dans c’que son devoir conjugal lui commande,  j’nai pas d’autre solution que d’faire venir l’vétérinaire. Allez savoir c’qu’il va encore trouver ce sacré véto  pour m’faire cracher des sous. Parc’qu’y faut pas s’faire d’illusion…y  n’oublie jamais de les encaisser les pépettes, même lorsque  qu’y sait qu’la bête  va crever cinq minutes à peine après qu’y soit parti. Mais quand on n’a pas l’choix on n’a pas l’choix ! On fait s’qu’on peut… n’est-ce pas… ? »
Le véto arrive :
« Bonjour Mme Gertrude. Qu’est-ce qu’il y a  donc de si urgent pour  que vous m’appeliez de si bon  matin?
Elle  avec des airs abattus:
    – Ben… c’est mon bouc ! Z’entendez pas comme il respire ? On dirait qu’il siffle. Et en plus il s’occupe plus du tout des filles. L’a pourtant pas l’âge de mon mari ! Lui le Gontran ça peut s’comprendre puisqu’y commence à se courber et qu’y commence aussi à  tout s’flétrir. J’parle du visage bien sûr. Parce que pour ce qui est du reste, j’crois même plus m’souvenir  comment qu’c’est fait.  Encore qu’il n’a pas toujours été  très vaillant  de ce point de vue; du moins pas autant  que j’aurais aimé qu’y soit.  Sous prétexte de ceci, sous prétexte de cela, y’a jamais mis d’ temps pour ronfler comme une locomotive sitôt sous les draps et même à claquer des dents aussi fort qu’un marteau piqueur.  Mais ça,  j’sais bien qu’on n’y peut pas grand-chose vous et moi. Et puis c’est ben  moins grave que le cas d’mon bouc. Lui au moins l’a toujours été  productif en semences. Ah pour ça on n’a jamais eu à s’plaindre de ses services. J’me suis d’ailleurs toujours demandé s’y avait assez d’filles dans son harem pour  satisfaire ses besoins.
Lui  un peu agacé :
    – Passons ! Passons Mme  Gertrude…  Vous ne m’avez tout de même pas déplacé  que pour me raconter vos problèmes de couple ni pour que je prescrive  un revigorant à votre mari. Ce sont des choses qui ne me regardent pas. C’est votre affaire et je ne veux pas en entendre parler. Je suis là  pour examiner votre  bouc. D’ailleurs,  plus je l’observe, plus je me dis  que ce n’est pas brillant du tout.  Il est en effet malade, bien malade, votre bouc. Ca se remarque du plus loin. Je n’ai pas même besoin de l’ausculter. Ce qui m’étonne c’est que  ne m’ayez pas appelé plus tôt. Je vous aurais tout de suite conseillé de ne pas  le laisser  plus longtemps   aux courants d’air et à l’humidité,  comme c’est le cas.
Elle, plutôt surprise:
    – Mais où donc voulez-vous qu’on l’mette  ce bouc? On n’a nul autre endroit que cette bergerie. L’écurie est ben trop petite. Elle ne peut loger qu’l’âne et quelques poules. On ne va tout de même pas le fourrer dans la niche du chien !
Lui, d’un air désolé:
    – Dans ce cas Mme Gertrude, considérez que l’animal est perdu. Je ne peux rien pour lui.
Puis d’un ton bien plus rassurant : En revanche… si vous  trouviez un coin plus tempéré et surtout  moins humide, là,  d’accord. Une bonne dose de pénicilline administrée en piqûre et nous aurions de grandes chances de le sauver.
Elle,  subitement réjouie : 
   –  Oh mais j’y pense ! Ben sûr qu’c’est la solution !  Ca m’vient tout d’un coup à l’esprit ! J’sais où c’qu’on va l’mettre ce bouc!
Lui,  tout étonné:
 –  Où donc puisque vous me dites qu’il n’y a de  place nulle part ailleurs ?
Elle, tout à fait rassurée:
   –  Mais on va le mettre dans notre chambre pardi. Jour et nuit on y maintient un petit feu doux et chez nous les portes et les fenêtres sont toujours tenues fermées. Il y’fra très bon et y’aura  point de courants d’air ! Ca je puis vous l’assurer.
Lui,  scandalisé:
 –  Comment ça dans votre chambre Mme Gertrude ? Vous n’y pensez tout de même pas !
Elle,  toute étonnée :
   –  Et pourquoi pas, puisque j’vous dis qu’il y fait très bon et qu’y aura point de courants d’air. C’est ben ce que vous voulez !
Lui,  qui n’en croit toujours pas ses oreilles:
 –  Mais à cause de l’odeur Mme Gertrude ! A cause de l’odeur !
Elle tout à fait soulagée:
  –  Ah ! Si c’n’est qu’ça, ça m’rassure et ce s’ra tant pis pour lui ! Puisqu’on n’a pas le choix, faudra ben qui s’y fasse à l’odeur.